Le filleul de la mort

Louis de Ronchaud

Jadis, un pauvre paysan, bien décidé à trouver un parrain exceptionnel pour son fils Enzo qui venait de naître, décida de sillonner les routes de Galice.

Après avoir rencontré le diable, qu’il évinça pour cause de manières trop diaboliques, et un moine, pour cause de manque de fortune, il aperçut une silhouette macabre tout de blanc vêtu et épouvanté, la reconnue aussitôt… c’était la mort.

– « Pourquoi me barres-tu la route ? Mon heure est-elle venue ? ».

– « Non ! C’est pour ton fils que je suis là ! Ce n’est pas un parrain qu’il te faut mais une marraine… tu ne le regretteras pas, et quand mon filleul aura 20 ans, je reviendrai le combler d’or et de gloire ».

Le paysan, accepta cette proposition hors du commun et fit célébrer le baptême… Les années passèrent et bientôt vint le temps de fêter le 20e anniversaire d’Enzo…

Tandis que la fête battait son plein, une fenêtre s’ouvrit bruyamment et un souffle glacé s’engouffra tout à coup dans la pièce. La mort drapée dans son linceul se dressait devant les yeux des invités.

– «  Heureux anniversaire mon filleul. J’ai promis de te donner aujourd’hui puissance et renom. Prends cette herbe magique… Quand tu te rendras au chevet d’un malade, si tu me vois du côté droit du lit, fais-en une potion, elle le guérira… En revanche, si je me tiens du côté gauche c’est qu’il est voué à mourir et rien ne pourra l’en empêcher ».

Et il en fut ainsi. Le jeune homme devint un célèbre médecin qui faisait des miracles, mais la rumeur courait aussi que s’il annonçait une mort prochaine le malade en effet était condamné.

Un jour, appelé au chevet d’un enfant, il pénétra dans la chambre et frémit d’horreur. Près du petit corps gémissant se dressait la mort… du côté gauche du lit. Il lui jeta un regard implorant mais la mort est sans pitié. Il hésita, fixa longuement les yeux vides et aveugles de sa marraine puis, se détournant résolument il annonça :

– « Votre fils ne mourra pas, préparez lui une potion avec cette herbe et il guérira ».

Lorsque le jeune médecin rentra chez lui un froid mortel régnait dans sa demeure. Devant lui se dressait sa marraine effroyable et terrible.

– « Imbécile… comment oses-tu me désobéir. Tu as fait semblant de ne pas me voir debout à gauche du lit ».

– « Je regrette marraine mais j’étais au désespoir à la pensée que cet enfant puisse mourir. Cette fois-ci pardonnez-moi ! ».

– « Jamais je n’ai pardonné à personne car je n’ai pas de cœur et pourtant, je ne sais quel étrange sentiment j’éprouve pour toi, et je te pardonne aujourd’hui mais c’est la dernière fois. Si tu désobéis à nouveau, c’est toi qui devras mourir à la place du malade ».

La renommée du jeune homme s’étendit à toute l’Espagne. Il fut nommé médecin de la cour du roi où il rencontra celle qui devint sa bien aimée.

Malheureusement, un jour, il fut appelé à son chevet et…dans la chambre… à gauche du lit… immobile… se dressait la mort… Le jeune médecin, désespéré, poursuivi sans trop savoir ce qu’il disait et murmura : « Ne craignez rien ma douce, vous guérirez ».

Ce soir-là quand il rentra chez lui, il savait que sa marraine l’y attendrait. Une odeur d’outre-tombe le prit à la gorge et une bise glaciale le pénétra jusqu’aux os. Devant une fenêtre se tenait la mort hideuse et grimaçante.

– « Tu m’as désobéi une seconde fois. Tu as triché avec moi comme nul n’avait jamais osé faire ».

– « Je vous en supplie, Marraine, j’ai mal agi, je sais, mais elle est si douce et si belle ! ».

– « Les sentiments des mortels me laissent indifférente. Le destin est immuable et tu n’y peux rien changer. Mais ne redoute pas ma colère car je ne peux plus rien pour te sauver. Viens avec moi, je veux te montrer quelque chose que personne au monde n’a encore jamais vu ».

Ils pénétrèrent dans une caverne immense ou brillait sur le sol des milliers et des milliers de bougies de tailles diverses.

– « Regarde mon filleul, chacune de ces bougies représente une vie humaine. Voici la flamme de ta bien aimée… je ne peux l’empêcher de s’éteindre bientôt ».

Le jeune homme posa sur sa marraine un regard désespéré.

– « Je ne peux t’offrir que le sort réservé à tous les humains un jour ou l’autre. Moi seule possède le terrible pouvoir de vous unir à jamais… je vais éteindre ta bougie en même temps que la sienne. Ce sera le dernier cadeau que je te ferai ».

Alors un souffle glacé balaya la grotte et aussitôt le jeune homme tomba au pied de la mort au même moment où deux flammes vacillèrent et moururent ensemble.