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La maison maternelle

La création de la Maison Maternelle de Crégy-lès-Meaux n’est pas un hasard. Elle est, à la fois, le résultat d’une convergence de plusieurs courants de pensée dont certains existent depuis des siècles (ex. les mouvements catholiques), et d’autres qui émergent à partir de la fin XIXe (ex. l’eugénisme), et également d’un déclin de la population française avec des naissances qui ne cessent de diminuer, particulièrement à partir de la guerre de 1870.

Sommaire

LE CONTEXTE SOCIAL ET POLITIQUE

Les mouvements catholiques et les ligues moralisatrices

La morale (sexuelle et familiale) est surveillée depuis longtemps par l’église et des organisations qui en sont proches (mouvements familiaux). S’y ajoutent des ligues moralisatrices, nées sous l’ère victorienne, qui sont encore très présentes au début du XXe Siècle. Pour ces courants, la famille nombreuse est un but en soi et c’est le droit des enfants à naître qui est soutenu quoi qu’il arrive.

Le courant eugéniste : “Afin d’améliorer le corps social”

« L’eugénisme social » consiste « à rechercher des connaissances relatives à la reproduction, à la conservation et à l’amélioration de l’espèce humaine ». Il est basé sur la valeur biologique, sociale et intellectuelle de l’être humain.
Le précurseur de cette pensée est Adolphe Pinard qui est chargé, en 1886, de la clinique d’accouchement de la faculté de médecine de Paris. Il institue les consultations prénatales et préconise la création de maisons d’accueil pour femmes enceintes nécessiteuses, développant ainsi la puériculture sociale. Pour lui, la qualité d’un être humain dépend des soins qu’il a reçus dans sa prime jeunesse.

En 1904, les eugénistes créent l’Alliance d’Hygiène Sociale qui se donne pour mission de « provoquer, d’encourager et de soutenir toutes les initiatives particulières qui peuvent s’employer à rendre le corps social plus sain et plus vigoureux. » (séance du congrès du 19 octobre 1911).

Les natalistes : “De la main-d’œuvre et des soldats”

Ce courant se développe en réponse à la hantise des patrons et des militaires face à la dépopulation constante que subit la France depuis la fin du XIXe siècle et qui constituerait, pour les uns et pour les autres, un grave manque à gagner et l’impossibilité de renouveler leurs contingents en vue des prochaines guerres.

L’une des principales figures de ce mouvement est Jacques Bertillon. Médecin de formation, il devient chef de service de la statistique municipale de la Ville de Paris. Propagandiste nataliste, il fonde en 1896 l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française et multiplie les alertes à la dénatalité « qui affaiblit la possibilité de revanche de la France face à l’Allemagne ».

Le courant nataliste s’appuie sur des données comptables et logiques basées sur des statistiques. Depuis le XIXe siècle, le discours nataliste fait partie intégrante de la politique dans l’Hexagone, mais il se manifeste particulièrement après la première guerre mondiale qui est une véritable saignée pour le pays.

Après 1918 vers “la nationalisation des ventres”

Face à la chute de la natalité et à l’hécatombe de la première guerre mondiale, les politiques s’emparent de la question des naissances. Ils promulguent une série de lois et facilitent l’ouverture de structures spécialisées afin d’inciter les femmes à enfanter et à garder leurs bébés.

Les principales lois gérant la natalité après-guerre

24 octobre 1919 : Loi protégeant les femmes qui allaitent. Elle accorde aux femmes qui allaitent une allocation supplémentaire. «Toute française allaitant au sein recevra, pendant 12 mois après l’accouchement, une allocation mensuelle de 15 francs ».

31 juillet 1920 : Loi réprimant la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. Cette loi traduit parfaitement l’esprit qui sera celui de tout l’entre-deux-guerres et illustre les différents moyens mis en œuvre pour mener à bien la lutte contre la décroissance de la natalité, perçue comme « un véritable fléau national ».

27 mars 1923 : Correctionnalisation de l’avortement avec la modification de l’article 317 du code pénal. Elle punit d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 100 frs à 3 000 frs quiconque aura, de quelque manière que ce soit, « provoqué au crime d’avortement », que la provocation soit suivie ou non d’effets, soit par discours, soit par vente d’objet, soit par distribution à domicile.


L’interdit va plus loin puisqu’on peut être poursuivi pour le seul fait de :

« décrire, divulguer ou offrir de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse », car « La femme n’est pas libre de son corps. Chacun d’entre nous a un rôle social bien déterminé […]. De même qu’au cours de la guerre, tout homme avait le devoir de défendre la Patrie, même au prix de sa vie […], de même la mère ne peut se soustraire à l’espèce d’obligation militaire qui consiste, pour elle, à mener sa grossesse à terme ».

Pour la petite histoire : Même l’importation de contraceptifs est prohibée. Celui qui se fait prendre avec des « condoms » risque un à six mois de prison et une amende de 100 à 5 000 frs !

L’avortement ne sera dépénalisé qu’en 1975 par la loi Veil.

5 avril 1928 et 30 avril 1930 : Lois sur les assurances sociales, incluant une assurance maternité. Cette assurance prend en charge les frais de grossesse, d’accouchement et d’allaitement.

11 mars 1932 : Loi Landry, généralisant les allocations familiales.

Des structures spécifiques pour accueillir les mères et leurs enfants

A partir de la fin du XIXe siècle, l’opinion publique se préoccupe de plus en plus du sort des enfants et, dès 1874, le législateur prend en charge la question de la protection infantile en publiant le 23 décembre la loi Roussel sur la protection du premier âge qui s’applique aux enfants de moins de deux ans placés en nourrice. Ceux-ci font désormais l’objet d’une surveillance par l’autorité publique « afin de protéger leur vie et leur santé ». C’est également à ce moment que des asiles pour femmes enceintes apparaissent. Peu à peu, d’autres lieux de ce type, publics ou privés, vont émailler le territoire. Le but poursuivi n’est plus moral mais bien démographique. Il s’agit de préserver des enfants mis en danger par la situation précaire de leur mère.

ARTICLE PREMIER – Tout enfant âgé de moins de deux ans, qui est placé, moyennant salaire, en nourrice, en sevrage ou en garde, hors du domicile de ses parents, devient, par ce fait, l’objet d’une surveillance de l’autorité publique ayant pour but de protéger sa vie et sa santé.

En 1918, Edouard Herriot ouvre au château de Gerland, dans la périphérie de Lyon, la maison des mères. Il souhaite mettre en place un centre d’accueil pour les mères célibataires. Dans cet asile maternel, les femmes enceintes sont admises avant leur accouchement et restent après leur accouchement le temps nécessaire.

En 1920, est également créée à Bron la nourricerie départementale du Vinatier, qui reçoit, à leur sortie de la maternité, des femmes sans ressources avec leur nourrisson.

Le nom de « Maison Maternelle » semble avoir été mis en avant pour la première fois en 1915 par le docteur Fernand Merlin, lorsqu’il exposa au conseil général de la Loire une conception entièrement nouvelle des refuges-ouvroirs. Ces maisons maternelles ou des mères proposent aux femmes enceintes sans ressource, mariées ou non, un asile afin de veiller au bon déroulement de la grossesse puis à la santé des nouveau-nés (annexe 1).

La maison maternelle de Crégy-lès-Meaux

L’élaboration du projet

En décembre 1923, un projet initial pour la création d’une maison maternelle est porté par le conseil général de Seine-et-Marne.

En 1924, à la suite de l’étude menée par le directeur de l’Assistance de l’Hygiène Publique, le coût total est estimé à 630 000 frs pour la transformation de la maison existante, la construction des bâtiments neufs et l’aménagement intérieur, auquel il faut ajouter 150 000 frs de dépenses de fonctionnement annuel. Ce montant étant très élevé, la décision est reportée jusqu’à ce que soient trouvées toutes les possibilités de financement.

Le 20 mai 1925, après accord du préfet, le conseil général de Seine-et-Marne entérine la création de la maison maternelle départementale de Crégy-lès-Meaux.

Un projet onéreux

Le devis préliminaire présenté en 1924 étant très élevé, le financement de la maison maternelle sera concrétisé grâce à trois sources :

Les fonds d’un projet d’asile : En effet, les fonds utilisés pour la création de la maison maternelle viennent, en partie, de l’abandon d’un projet d’avant 1914 pour la construction d’un asile départemental d’aliénés en Seine-et-Marne. La guerre et l’augmentation considérable du prix des constructions ont rendu le projet irréalisable.

Le fond diocésain : Suite à la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, modifiée par la loi du 12 avril 1908, et sur la demande du conseil général, les biens meubles et immeubles constituant l’actif disponible des établissements diocésains sont attribués au département par décret du 11 novembre 1908, pour être affectés à des établissements de bienfaisance ou d’assistance.

L’aide de l’état : Afin de compléter la somme nécessaire et d’assurer le paiement des travaux, le département peut également demander, par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur, une subvention sur les fonds provenant du produit des jeux (Pari Mutuel) ainsi que la possibilité de recevoir une aide du ministère de l’hygiène qui peut attribuer certaines sommes pour des projets sociaux.

Rapport du conseil général, session du 1er septembre 1924

Le dossier définitif de financement

Nos recherches n’ayant pas permis de trouver les montants et les sources de financement définitifs, nous ne sommes pas en mesure de confirmer le détail du montage financier entériné.

Le but : Accueillir les mères et sauver les enfants

« La Maison départementale Maternelle et de protection de l’enfance, créée par le conseil général, dans la propriété « la Tuilerie », sur la commune de Crégy-lès-Meaux est un établissement départemental de bienfaisance destiné à recevoir des mères-nourrices et éventuellement des enfants en dépôt pour en prévenir l’abandon...».

En effet, au départ, l’administration précise que la Maison Maternelle ne sera pas une maison d’accouchement mais qu’elle sera destinée aux femmes privées de ressources, allaitant leur enfant et qui après l’accouchement ont besoin de repos et soins spéciaux. Il est précisé que « ces femmes ne devront être atteintes d’aucune maladie contagieuse ».

En 1924, il est également décidé que la Maison Maternelle accueille des enfants selon des conditions spécifiques, à savoir :

« Seront admis en dépôt les enfants de 1 jour à 2 ans dont les mères sont momentanément sans ressources et privées d’aide et de protection et dont la volonté est de ne pas recourir à l’abandon. Les mères devront résider en Seine-et-Marne et les enfants être nés dans le département. Le temps de séjour des enfants sera de 2 mois, exceptionnellement renouvelable ».

Pour comprendre cette initiative, il faut rappeler l’état sanitaire de l’époque et ses répercussions sur la vie des tout-petits. En effet, au début des années 1920, le taux de mortalité infantile en France s’élève à 150 décès pour 1 000 naissances.

En 1925, le taux de mortalité en Seine-et-Marne des enfants de moins d’un an atteint 109 décès pour 1 000 naissances. Il est supérieur à la moyenne nationale qui se situe autour de 80 décès pour 1 000 naissances (à titre de comparaison, le chiffre était de 3.9 décès pour 1 000 naissances en 2022). Les enfants meurent des nombreuses maladies, de malnutrition mais également de mauvais traitements.

Les politiques prennent en compte le problème et réagissent. Ainsi Georges Lugol, député, sénateur, président du conseil général de Seine-et-Marne et maire de Meaux, donne- t- il lecture d’un rapport de la commission d’assistance à propos de l’immeuble de « la Tuilerie » à Crégy-lès-Meaux et de la création de la Maison Maternelle :

« De tous les problèmes qui nous ont été soumis, ceux dont le but fut d’encourager la natalité ont toujours retenu tout particulièrement notre attention. D’importants sacrifices ont déjà été consentis et le département de Seine-et-Marne est de ceux qui ont voté les plus fortes primes à la natalité. L’an dernier encore, il décidait d’attribuer ces primes à partir du troisième enfant.
Avec l’assistance aux femmes en couches accordé aussi largement que possible, les primes d’allaitement maternel et l’assistance aux familles nombreuses, le conseil général a pu montrer tout l’intérêt qu’il porte à une question qui préoccupe à très juste titre les pouvoirs publics. Mais s’il est nécessaire d’encourager la natalité, il est urgent d’essayer de diminuer la mortalité infantile. Il arrive fréquemment que des mères, dont la santé est affaiblie pour diverses raisons, ne peuvent donner à leur enfant nouveau-né tous les soins nécessaires. Elles ont elles-mêmes besoin de soins. Et le nouveau-né, se trouvant dans les conditions les plus défavorables, est naturellement exposé aux affections qui déciment les jeunes enfants.
Aussi, l’idée de créer des maisons maternelles pour le repos des femmes s’impose-t-elle à ceux qui ont le souci de préserver les tout petits du danger constant qui les menace. L’Etat et quelques départements l’ont déjà réalisée.
Sur proposition de M. le préfet, le conseil général a, lui aussi, envisagé la création d’une Maison Maternelle en Seine-et-Marne et l’utilisation, dans ce but, de la propriété que le Département possède sur le territoire de Crégy, aux portes mêmes de Meaux. Un immeuble se trouve là, merveilleusement situé, dans un endroit agréable et tranquille, où peuvent être assurés le calme et le repos. Il suffit de l’aménager pour sa nouvelle destination… ».

L’ouverture de la Maison Maternelle

Le 20 février 1926, les travaux débutent (annexe 3). De chaque côté de l’ancienne bâtisse bourgeoise, déjà existante sur les lieux, deux ailes sont ajoutées pour former un atrium. Avec cette extension, le bâtiment atteint une superficie de 990 m2 . Pour compléter cet ensemble, on construit également, en bordure de la route départementale, un pavillon d’accueil pour le.la gardien(ne) et le jardinier. La propriété s’étend sur environ 2 ha.

Le 1er octobre 1927, la Maison Maternelle ouvre ses portes.

La maison

Le bâtiment principal

L’aménagement intérieur du bâtiment est inspiré de la Maison Maternelle de Saint Maurice dans le Val-de-Marne. Dans la partie déjà bâtie (ancienne maison bourgeoise de la Tuilerie), comportant un premier étage, le logement du directeur et quelques chambres d’infirmières sont aménagés.

Dans les ailes nouvellement construites, se trouvent deux dortoirs, l’un de 12 lits et 12 berceaux, l’autre de 8 lits et 8 berceaux et entre ces derniers, une salle de change avec des petites baignoires. A côté, il y a les W.C. et les lavabos. Il existe aussi une chambre d’isolement pour les malades potentiellement contagieuses. Autour de l’atrium, une galerie vitrée permet de circuler entre les divers services sans passer à l’intérieur des chambres. La maison comporte également le réfectoire des pensionnaires non alitées et une salle où les mères, pendant que les enfants dorment, travaillent à l’entretien des vêtements et à la confection de layette. Suivent la biberonnerie, la cuisine, l’office et le réfectoire du personnel. Plus loin on accède au cabinet du médecin, au parloir, au vestiaire et à l’économat.

Les annexes

La maison du gardien : Il a été nécessaire de construire, à l’entrée (côté de l’actuelle avenue Henri Magisson), un pavillon pour un ménage de concierge/jardinier et c’est en juillet 1927 qu’un gardien prend possession de l’habitation. Au fil du temps, cette maison abritera plusieurs familles (annexe 7).

Les serres et jardins : La propriété comprend également des serres, des jardins potagers et un grand parc arboré qui permet aux jeunes femmes et à leurs bébés de profiter du bon air de la campagne.

1) Le bâtiment principal avec son jardin central. A gauche de la maison, une grande pelouse très ordonnée dont les allées mènent au parc. Un grand potager et jardin à fleurs complète l’ensemble.

(2) Le pavillon du gardien.

(3) Une belle allée de tilleuls qui structure l’espace. A sa droite des traces de plates-bandes et à sa gauche sans doute un verger.

(4) Un parc aux grands arbres laissés libres.

(5) Le château d’eau et à gauche un vaste espace en jachère.

(6) Le « terrain en pente », potager du gardien. Une grotte artificielle se trouve à proximité.

(7) Actuelle avenue Magisson

Le personnel

En 1927 : Le personnel de l’établissement est réduit au strict minimum. Il comprend une directrice, Mlle Garçonnet qui remplit également les fonctions d’économe. Âgée de 30 ans, elle arrive le 1er octobre 1927. Elle est assistée dans sa mission par deux infirmières, une cuisinière ainsi qu’un gardien/jardinier. L’aspect médical est assuré par un praticien de Meaux.

En 1928 : Après le décès prématuré de Mlle Garçonnet survenu le 12 avril, une nouvelle directrice est engagée (annexe 4). Mlle Merlin âgée de 50 ans restera en poste jusqu’en 1940. Il y a toujours un jardinier/concierge et une cuisinière, son épouse.

En 1931 : L’équipe est légèrement modifiée. On retrouve une directrice, une infirmière, Mme Speulé âgée de 22 ans, un jardinier-concierge, M. Nussbaum, deux cuisinières, Mme Nussbaum et Mme Courcou (annexe 5).

En 1939 : On crée un poste d’infirmière visiteuse, adjointe à la directrice qui a pour but de s’occuper des enfants de l’assistance publique qui arrivent à la Maison Maternelle. C’est Mme Bernard qui l’occupera jusqu’en 1940, date à laquelle elle prend les fonctions de directrice, régisseuse et comptable, qu’elle va occuper jusqu’en 1945. Le poste d’infirmière visiteuse est repris par Mme Clerc jusqu’en 1943. Mme Gilles est nommée pour la remplacer mais nous ne savons pas si cette personne a effectivement pris le poste comme prévu.

A partir de 1945 : Mme Fontaine est nommée directrice. Elle est restée en poste jusqu’en 1964.

En 1948 : La famille Pouzols arrive dans l’établissement et restera jusqu’en 1968. Mme Pouzols s’occupe de la loge en tant que gardienne. Homme à tout faire, M. Pouzols est entre autre, chargé de déclarer les naissances à la mairie de Crégy-lès-Meaux.

En 1952 : Mme Belin est engagée comme sage-femme en chef jusqu’en juin 1958. Cette information confirme que des accouchements ont eu lieu à la maison maternelle.

En 1957 : Mlle Chappelier arrive comme surveillante du travail de couture, de la cuisine et du ménage, tout étant fait par les mères.

En 1962 : Une nouvelle infirmière, Mme Osika, est nommée ainsi que deux aides-puéricultrices Mme Valeton, que nous avons rencontrée en septembre 2022, et Mme Touchais.

Pour la petite histoire : Mme Valeton, âgée de 18 ans à son arrivée, vit sur place et comme elle est encore mineure (majorité à 21 ans à l’époque), celle-ci n’a le droit de sortir que très rarement de l’établissement. Elle va travailler à la maison maternelle jusqu’au 19 avril 1964, date de fermeture définitive de la maison maternelle de Crégy-lès-Meaux.

Le fonctionnement

Les dépenses constatées en 1938

Traitement du personnel37 206,00
Frais médicaux, pharmaceutiques,
hospitalisation à Meaux
21 270,00
Alimentation67 967,00
Chauffage27 340,00
Éclairage, force motrice, eau5 981,38
Avances à la Directrice pour menues
dépenses
12 000,00
Dépenses diverses et imprévues2 371,00
TOTAL en francs174 135,00
Prix de la journée15,02
Par rapport à 1937+0,70

La vie dans la maison maternelle

De 1927 à 1928 – une maison de repos

Comme déjà évoqué plus haut, la maison maternelle n’a pas vocation, au départ, à devenir une maison d’accouchement. Elle est destinée, au contraire, à des femmes privées de ressources, allaitant leur enfant, et qui après leur accouchement, ont besoin de repos et/ou de soins spéciaux. Le séjour dans l’établissement est normalement de deux à trois mois, mais peut être prolongé sur avis médical de deux périodes d’un mois. La demande d’admission doit être faite à la mairie du domicile, puis validée par le préfet de Seine-et-Marne M. Georges Garipuy, après enquête de l’inspecteur de l’assistance publique.

Dès 1928, le but de la Maison Maternelle évolue

En effet, très rapidement se pose la question d’étendre le dispositif pour une aide prénatale afin d’accueillir des femmes enceintes dont la situation l’exige. Pendant la séance du conseil général du 1er octobre 1928, le sujet est abordé et le préfet y répond :

Il est probable que très rapidement les conditions d’entrée s’élargissent comme nous l’indique l’article de novembre 1927 :

Pour les femmes qui viennent se reposer et qui en ont les moyens, la journée est tarifée de 14 à 15 Frs, soit le salaire moyen d’un manœuvre en 1920. En ce qui concerne les filles-mères, c’est le personnel médical et social qui prend en charge tous les frais dès l’annonce de la grossesse et jusqu’à leur réinsertion définitive.

Rapport du Sénat juillet 1930

Présence mères / enfants de 1927 à 1938

Témoignages :
Le docteur Tupin, pédiatre, et le docteur Martin, gynécologue, déclarent : « La nuit, il y avait 2/3 auxiliaires et 2 mères qui dormaient dans la pouponnière. Les femmes étaient bien traitées, mais n’avaient pas le droit de sortir. La maison maternelle était fermée à clé ».

Mademoiselle Chappelier, surveillante des activités, témoigne en 1957 sur les conditions de travail au sein de la maison maternelle.

En 1947, une habitante du Blamont, quant à elle, accouchera exceptionnellement à la maison maternelle d’un de ses nombreux enfants. Dans quelles conditions, nous ne le savons pas.

Lu dans la presse locale

Le 25 février 1939 : « Fugue, après avoir laissé une lettre annonçant son départ, d’une jeune fille placée sous l’autorité judiciaire à la maison maternelle, retrouvée 24 heures après, par les gendarmes ». Le 30 novembre 1961 : Un bébé abandonné est récupéré et amené à la maison maternelle.

A partir de 1940, nouvelle évolution

C’est sur décision du conseil général du 24 avril 1934 que la maison maternelle prend une nouvelle orientation. En effet, en raison du nombre toujours plus faible des enfants du 1er âge recueilli au centre d’élevage des pupilles de l’assistance publique de Melun, il est décidé que les petits seront transférés à la maison maternelle de Crégy-lès-Meaux qui devient « pouponnière d’observation ». En 1940, 81 orphelins y sont transférés pour être placés chez des nourrices. Malheureusement, 18 d’entre eux décèdent dans l’année à la suite d’une épidémie d’entérite cholériforme due aux mauvaises conditions de vie des enfants (manque de lait, de denrées de premières nécessités et exode des nourrices). Dans le village, un certain nombre de femmes vont devenir nourrices et vont s’occuper des enfants qu’ils soient nés d’une fille-mère ou qu’ils viennent de l’assistance publique. Un registre des nourrices est consultable en mairie (annexe 6).

La fermeture de la Maison Maternelle

Des raisons matérielles

Malgré les travaux effectués au cours du temps, le bâtiment dans lequel est installée la maison maternelle présente de nombreuses imperfections (notamment des fissures) car elle a été édifiée sur un sol peu stable. L’entretien intérieur s’avère également particulièrement onéreux.

En 1940, par exemple, compte tenu de l’état de guerre et du manque de moyens financiers, l’architecte se contente des travaux de conservation suivants : Finition complète des peintures dans tous les locaux – clôture des dortoirs par des volets pleins – installation d’appareils de ventilation et d’éclairage dans lesdites salles – réfection des conduits extérieurs de cheminées, dont deux viennent d’être démolis par la dernière tempête.

Dans les années 1960, des études de sols confirment que le bâtiment se trouve sur d’anciennes carrières à ciel ouvert de gypse ayant été remblayées avec des matériaux très hétérogènes, rendant instables les bâtiments avec un risque d’effondrement.

Des raisons sociétales

A partir des années 1950, les admissions sont en baisse. En 1961, la maison maternelle ne compte plus que 15 pensionnaires. La prise en charge des jeunes femmes et des enfants change de forme. La maison maternelle n’a plus sa place dans les nouveaux dispositifs. L’hôpital va progressivement s’imposer comme le lieu de suivi pour les femmes enceintes et les nouveau-nés.

Vente de la Maison Maternelle

Le 1er septembre 1965, le département de Seine-et-Marne cède la propriété à la ville de Meaux pour 100 000 frs, afin de créer un centre aéré pour les enfants de Meaux. En 1976, au vu de leur état, les anciens bâtiments sont entièrement détruits et remplacés par des préfabriqués. Aujourd’hui encore, le centre de loisirs Louis Pergaud accueille les enfants les mercredis et pendant les vacances scolaires. Ces derniers profitent ainsi de ce cadre exceptionnel.

Les sources :
  • Agence d’hygiène sociale : Compte-rendu de 1911
  • Archives communales : « Registre des nourrices »
  • Archives départementales de Seine-et-Marne et de la ville de Meaux
  • Belin Marc : Monographie sur la maison maternelle
  • Blanchard Damien : photo extraite de « Images du pays de Meaux »
  • Bulletins de « Crégy-lès-Meaux et son histoire »
  • Cahen Fabrice, chargé de recherches à l’institut national d’études démographiques : Conférence sur « La Grande Guerre : un tournant dans l’histoire des politiques de population et de reproduction ? »
  • Collection-jfm.fr : Cartes postales anciennes et collections
  • Conseil général de Seine-et-Marne : Comptes-rendus de séances (1924-1930-1935-1944)
  • Gallica.bnf.fr/BnF
  • Geoportail.gouv.fr
  • Pezant Robert-Raymond : Chronologie synthétique de la monographie de Marc Belin
  • Rapport du sénat de 1930
  • Retronews.fr